Le changement s'opéra avant qu'il put se dévêtir d'autre chose que de son manteau et son écharpe. Il n'avait plus qu'à enlever ses souliers, à se débarrasser de ses chaussettes par deux coups de pied vers l'arrière et de faire tomber ses pantalons de ses jambes inclinées et de sa taille. Mais il était toujours doté d'une poitrine fort impressionnante après le changement, et son chandail fut plus difficile à enlever. Les poils de son cou se hérissèrent de rage alors qu'il hochait sa tête de tous les côtés et déchirait avec ses griffes le vêtement en flocons de chiffons et de boutons arrachés. Expédiant sur le sol les derniers rubans qui l'agaçaient, il regretta sa hâte. Jusqu'à présent, il avait toujours été attentif en ce qui concernait les moindres petits détails. Le chandail portait une lettre. Il devait se souvenir de ramasser tous les lambeaux plus tard. Il pourrait les dissimuler dans ses poches et revêtir son manteau boutonné jusqu'au col lorsqu'il retournerait chez lui quand il se serait transformé de nouveau.
La faim gronda en lui, montant du ventre à la gorge et de la gorge à la gueule. Il lui semblait ne pas avoir mangé pendant un mois - pendant un mois de mois. La viande crue du boucher n'était jamais assez fraîche : elle avait connu la froideur de la mort et de la réfrigération, et avait perdu toute son essence vitale. Longtemps auparavant, il y avait eu d'autres repas, chauds et arrosés d'un sang qui s'écoulait encore. Mais à présent, le faible souvenir ne servait à peine qu'à exaspérer sa voracité.
Le chaos courait dans son cerveau. Inconséquemment, pour un instant, il se souvint des premiers symptômes de sa maladie, précédant même le dégoût envers la viande cuite : l'aversion, l'allergie aux fourchettes et aux cuillères d'argent. Celle-ci s'était rapidement étendue étendue à d'autres objets du même métal. Il était même répugné par le contact de l'argent, avait été forcé d'utiliser du papier et de refuser la monnaie. L'acier était lui aussi peu amical envers des êtres comme lui; et le temps vint où il put le supporter à peine plus que l'argent.
Qu'est-ce qui avait bien pu lui faire penser à de telles choses en ce moment, le faire grincer des dents avec dégoût, l'étouffant avec quelque chose pire que la nausée?
La faim revint, requérant un apaisement immédiat. Avec des pattes maladroites, il poussa ses vêtements sous les buissons, les dissimulant à la lune flasque. C'était la lune qui agitait les marées de folie dans son sang et qui forçait la métamorphose. Mais elle ne devait pas trahir à quelque passant chanceux les vêtements dont il aurait besoin plus tard, lorsqu'il aurait à nouveau revêtu l'apparence humaine après la chasse de cette nuit.
La nuit était chaude et sans le moindre souffle de vent, et les bois semblaient retenir leur respiration. Il y avait, il le savait, d'autres monstres à l'affût en cette année du vingt et unième siècle. Les vampires avaient survécu, plus subtils et plus mortels, protégés par l'incrédulité des hommes. Et lui-même n'était pas le seul lycanthrope : ses frères et sœurs parcouraient le monde sans égaux, préférant les jungles urbaines, plus sombres, pendant que lui, né dans la campagne, préférait les anciennes méthodes. De plus, il y existait d'autres monstres encore inconnus des mythes et des superstitions. Mais eux aussi pour la plupart rôdaient dans les cités. Il n'éprouvait aucun désir de rencontrer quiconque d'entre eux. Et il y avait bien peu de chances qu'une telle rencontre se produise.
Il suivit un chemin tortueux qu'il avait auparavant exploré en reconnaissance. Il était trop étroit pour des voitures et devint rapidement un simple sentier. À la croisée des chemins, il se cala dans l'ombre d'un large chêne gonflé de gui. Le chemin était emprunté par quelques piétons tardifs qui vivaient encore plus éloignés de la ville. L'un d'eux pouvait apparaître à n'importe quel moment.
Geignant un peu, avec l'appétit d'un molosse affamé, il attendit. Il était un monstre que la nature avait fait, prêt à obéir au premier commandement de celle-ci : tu dois tuer et manger. Il était une créature de terreur. . . une fable chuchotée autour de feux dans des cavernes préhistoriques. . . un métissage permis, selon des mythes plus tardifs, par les pouvoirs de l'enfer et de la sorcellerie. Mais d'aucune manière il était apparenté à ces monstres hors nature, cette progéniture d'une magie nouvelle et plus noire, qui tuait sans être affamée et sans la moindre malveillance.
Il attendait depuis seulement quelques minutes lorsque ses oreilles dressées perçurent la lointaine vibration de bruits de pas. Les pas s'approchèrent rapidement, semblant lui révéler beaucoup alors qu'ils avançaient. Ils étaient fermes et persistants, infatigables et rythmés, révélateurs d'une jeunesse ou d'une pleine maturité que l'âge avait laissée indemne. Ils parlaient avec certitude d'une proie digne d'intérêt, ou d'une viande maigre et d'un sang vital et abondant.
L'écume monta doucement aux babines de celui qui attendait. Il avait cessé de geindre. Il s'inclina vers le sol pour le bond qu'il aurait à faire.
Le sentier en avant de lui était pesamment drapé d'ombre. À peine perceptible, s'avançant rapidement, le marcheur émergea des ombres. Il semblait incarner tout ce que ce que celui qui surveillait avait évalué à partir du son de ses pas. Il était grand et large d'épaules, se balançant avec une souple certitude, une précision de muscles et de tendons puissants. Sa tête était une tache sans visage dans les ténèbres. Il ne portait pas de chapeau, enveloppé dans un manteau et un pantalon sombres comme quiconque pourrait en porter. Ses pas résonnaient avec l'assurance de celui qui n'a rien à craindre et qui n'avait jamais rêvé aux créatures des ténèbres prêtes à bondir.
Il était à présent pratiquement à la hauteur de la cachette de celui qui le surveillait. Ce dernier ne put attendre davantage et bondit de son guet-apens d'ombres, surplombant de haut l'étranger alors que ses pattes de derrière quittaient le sol. Son attaque était imparable, comme d'habitude. L'étranger bascula vers l'arrière, affalé et impuissant, comme cela avait été le cas pour tous les autres, et l'assaillant se pencha vers la gorge dénudée qui luisait de manière plus attirante encore que celle d'une sirène.
Il s'agissait d'une stratégie qui n'avait jamais failli. . . jusqu'à présent. . .
Le choc, la consternation, le projetèrent au loin de cette forme prostrée et le forcèrent à reculer sur ses hanches vacillantes. C'était peut-être le choc qui l'avait forcé à se transformer à nouveau, en un éclair, reprenant sa forme humaine avant son heure. Alors que s'entreprenait le changement, il cracha plusieurs crocs lupins brisés; et il cracha ensuite des dents humaines.
L'étranger se releva sur ses pieds, apparemment inébranlable et ne semblant nullement troublé. Il s'avança dans un rayon de lune révélateur, voûté dans une posture à demi accroupie, et articula ses doigts de béryllium et d'acier, et recouverts d'un émail d'un rose chair.
« Qui. . . qu'es-tu donc? », demanda le loup-garou d'une voix tremblotante.
L'étranger ne se donna pas la peine de répondre alors qu'il continuait d'avancer, chaque synapse de son cerveau électronique lui transmettant le message conditionné traduit dans les termes binaires les plus simplistes : « Non-humain. Tuer! »
English original: Des Monstres dans la Nuit (Monsters in the Night)