Les semences du sépulcre (The Seed from the Sepulchre)

Translation of Clark Ashton Smith by Patrick Rodrigue

« Oui, j'ai trouvé l'endroit », dit Falmer. « C'est d'ailleurs un endroit étrange, fort semblable aux descriptions qu'en ont fait les légendes. » Il cracha rapidement dans le feu, comme si l'acte de parler lui avait été physiquement désagréable, et, cachant à moitié son visage du regard insistant de Thone, fixa avec des yeux moroses et sombres les ténèbres vénézuéliennes enchevêtrées de jungle. Thone, toujours faible et pris de vertige en raison de la fièvre qui l'avait empêché de poursuivre leur aventure jusqu'à son terme, était curieusement perplexe. Falmer, pensa-t-il, avait entrepris un changement inexplicable durant les trois jours de son absence; un changement qui était trop insaisissable dans certaines de ses phases pour être pleinement défini ou délimité.

D'autres phases, par contre, étaient trop évidentes. Falmer, même lors d'épreuves extrêmes ou de maladies, avait jusqu'à présent intarissablement loquace et de bonne humeur. À présent, il semblait maussade, taciturne, comme s'il avait été préoccupé par des choses lointaines d'une désagréable signification. Son visage en saillie était devenu creux - même tiré - et ses yeux s'étaient rétrécis en fentes cachottières. Thone était troublé par ces changements, bien qu'il tentât d'écarter ses impressions en les considérant comme des idées maladives dues à l'influence des variations de sa fièvre.

« Mais ne peux-tu point me dire à quoi ressemblait l'endroit? », persista-t-il.

« Il n'y a pas grand-chose à dire », dit Falmer d'un étrange ton ronchonneur. « Juste quelques murs tombés en ruine et des piliers effondrés. »

« Mais n'as-tu pas trouvé le puits funéraire de la légende indienne, où l'or était sensé se trouver? »

« Je l'ai trouvé - mais il n'y avait pas de trésor. » La voix de Falmer avait pris une certitude interdite; et Thone décida de ne pas pousser plus loin son interrogatoire.

« Je crois », commenta-t-il avec légèreté, « que nous devrions plutôt demeurer dans la chasse aux orchidées. La course aux trésors ne semble pas être notre voie. À propos, as-tu vu des fleurs ou des plantes particulières lors du voyage? »

« Diable, non », trancha Falmer. Son visage était devenu soudainement cendré à la lueur du feu et ses yeux avait pris une lueur fixe qui pouvait indiquer de la peur ou de la colère. « Tais-toi, veux-tu? Je ne veux pas parler. J'ai eu une migraine toute la journée; quelque damnée fièvre vénézuélienne à la veille de me saisir, je suppose. Nous ferions mieux de nous diriger vers l'Orinoco demain. J'ai obtenu tout ce que je voulais de ce voyage. »

James Falmer et Roderick Thone, chasseurs professionnels d'orchidées, en compagnie de deux guides indiens, avaient suivi un affluent obscur du haut Orinoco. Le pays était riche en fleurs rares; et, au-delà de sa richesse florale, ils avaient été attirés par des rumeurs vagues mais persistantes parmi les tribus locales concernant l'existence d'une cité en ruines située quelque part le long de cet affluent; une cité qui contenait un puits funéraire dans lequel de vastes trésors d'or, d'argent et de joyaux avaient été ensevelis en compagnie des morts de quelque peuple sans nom. Les deux hommes avaient cru que cela valait la peine d'examiner ces rumeurs. Thone était tombé malade alors qu'ils se trouvaient encore à une journée entière de voyage des sites des ruines, et Falmer était parti dans un canoë avec l'un des indiens, laissant l'autre s'occuper de Thone. Il était revenu à la tombée de la nuit lors du troisième jour suivant son départ.

Thone décida après un certain temps, alors qu'il contemplait son compagnon, que le silence et la morosité de ce dernier était probablement due à son désappointement concernant son échec à trouver le trésor. Ce devait être ça, couplé avec quelque infection tropicale faisant son chemin dans le sang de l'homme. Néanmoins, admit-il avec hésitation, ce n'était pas le genre de Falmer d'être désappointé ou abattu en de telles circonstances. Falmer ne parla plus, mais s'assit en jetant un regard fixe devant lui, comme s'il avait vu quelque chose d'invisible aux autres par-delà le labyrinthe de lianes et de branches éclairées par le feu dans lequel les ténèbres murmurantes et furtives s'amoncelaient. D'une manière quelconque, il y avait une peur vague dans son aspect. Thone continua de le regarder et vit que les indiens, impassibles et énigmatiques, le regardaient eux aussi, avec une sorte d'obscure anticipation. L'énigme était trop grande pour Thone, et il abandonna après un certain temps, se plongeant dans un sommeil sans repos et agité par la fièvre duquel il s'éveilla à intervalles, pour voir le visage fixe de Falmer, chaque fois plus sombre et plus déformé avec le feu qui mourait lentement et les ombres envahissantes.

Thone se sentit plus fort au matin; ses pensées étaient claires, ses pulsations tranquilles une fois de plus; et il vit avec une préoccupation croissante l'indisposition de Falmer, qui semblait s'éveiller et s'exercer avec une grande difficulté, prononçant à peine un mot et se déplaçant avec une raideur et une lenteur singulières. Il paraissait avoir oublié son projet déclaré de retourner vers l'Orinoco, et Thone pris l'entière commande des préparatifs pour le départ. La condition de son compagnon l'intriguait de plus en plus - il n'avait apparemment aucune fièvre et les symptômes étaient entièrement ambigus. Néanmoins, selon des principes généraux, il administra une dose élevée de quinine à Falmer avant qu'ils ne s'en aillent.

La palissade jaune safran de l'aube étouffante s'infiltra sur eux à travers les sommets des arbres de la jungle pendant qu'ils chargeaient leurs possessions dans les pirogues et les poussaient dans l'eau sur le lent courant. Thone s'assit près de la proue de l'un des bateaux, Falmer à l'arrière, tandis qu'un gros ballot de racines d'orchidées et une partie de leur équipement emplissait le centre. Les deux indiens occupaient l'autre bateau, avec le reste des provisions.

Ce fut une journée monotone. Le fleuve se contorsionnait comme un serpent olivâtre paresseux entre des murs sombres et interminables de forêt, desquels les figures de gobelins des orchidées les lorgnaient. Il n'y avait aucun autre son que celui du clapotis de rames, le bavardage furieux de singes et les cris désagréables d'oiseaux couleur de feu. Le soleil se leva au-dessus de la jungle et répandit une marée de brillance torride.

Thone ramait sans interruption, regardant quelquefois derrière son épaule pour adresser à Falmer une remarque superficielle ou une question amicale. Ce dernier, avec des yeux confus et des traits étrangement pâles et tirés dans la lumière du soleil, était assis d'une manière déprimée et ne faisait aucun effort pour se servir de sa rame. Il ne répondit à aucune des interrogations de Thone, mais hocha sa tête à intervalles, avec une sorte de mouvement tremblotant qui était complètement involontaire. Après un certain temps, il se mit à gémir d'une voie rauque, comme en proie à une douleur ou un délire.

Ils poursuivirent ainsi de cette manière pendant des heures. La chaleur se fit plus oppressante entre les murs de jungle suffocants. Thone se rendit compte d'une cadence plus stridente dans les gémissements de son compagnon. Regardant derrière lui, il vit que Falmer avait enlevé son chapeau, apparemment inconscient de la chaleur meurtrière, et était en train de griffer la couronne de sa tête avec des doigts frénétiques. Des convulsions agitèrent son corps tout entier, la pirogue se mit à tanguer dangereusement alors qu'il s'agitait d'avant en arrière dans un paroxysme d'agonie manifeste. Sa voix s'éleva en un puissant hurlement inhumain.

Thone prit une décision rapide. Il y avait une ouverture dans la paroi de la sombre forêt, et il dirigea le bateau pour accoster immédiatement. Les indiens le suivirent, murmurant entre eux et contemplant le malade avec des regards de respect mêlé de crainte et de terreur appréhensifs qui intriguèrent Thone au plus haut point. Il sentait qu'il y avait un mystère diabolique autour de toute cette affaire; et il ne pouvait pas s'imaginer qu'est-ce qui n'allait pas chez Falmer. Toutes les manifestations connues des maladies tropicales malignes s'élevèrent devant lui comme une débâcle de fantasmes hideux; mais parmi eux, il ne pouvait pas reconnaître la chose qui avait assailli son compagnon. Ayant conduit Falmer sur la berge sur un demi-cercle de plage treillissé de lianes, sans l'aide des indiens, qui semblaient peu enclins à approcher le malade, Thone administra une lourde injection hypodermique de morphine de son coffret de remèdes. Cela sembla calmer les souffrances de Falmer, et les convulsions cessèrent. Thone, prenant avantage de leur rémission, entreprit d'examiner la couronne de la tête de Falmer.

Il fut étonné de découvrir, parmi l'épaisse chevelure ébouriffée, une bosse dure et pointue qui ressemblait à la pointe du commencement d'une corne, s'élevant sous la peau toujours intacte. Comme si elle avait été dotée d'une vie érectile et sans résistance, elle sembla grandir sous ses doigts.

Au même moment, de façon abrupte et mystérieuse, Falmer ouvrit les yeux et parut regagner sa pleine conscience. Pour quelques minutes, il fut davantage lui-même que n'importe quel temps depuis son retour des ruines. Il se mit à parler, comme s'il avait été anxieux de délivrer son esprit de quelque fardeau oppressant. Sa voix était bizarrement épaisse et monocorde, mais Thone fut capable de suivre ses marmottements et les rassembler ensemble.

« Le puits! Le puits! », dit Falmer. « La chose infernale qui se trouvait dans le puits, dans le sépulcre profond!... Je ne retournerais pas là pour tous les trésors d'une douzaine d'El Dorados... Je ne t'ai pas dit grand chose à propos de ces ruines, Thone. Quelque chose qui était dur - extrêmement dur - à dire.

Je crois que l'indien savait qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas dans ces ruines. Il m'a conduit à l'endroit... mais ne m'a rien dit à son propos; et il a attendu au bord du fleuve alors que je cherchais le trésor.

De grands murs gris s'élevaient là, plus vieux que la jungle : aussi vieux que la mort et le temps. Ils devaient avoir été excavés et élevés par un peuple de quelque planète oubliée. Ils surgissaient et s'inclinaient en des angles fous et surnaturels, menaçant d'écraser les arbres autour d'eux. Et il y avait aussi des colonnes : des colonnes épaisses et enflées en des formes impies, dont la jungle n'avait pas entièrement soustrait à la vue les abominables gravures.

Je n'eus pas de difficultés à trouver ce puits funéraire maudit. Le pavé qui le recouvrait avait été brisé plutôt récemment, je crois. Un gros arbre avait fureté avec ses racines semblables à des boas entre les dalles enterrées sous des siècles de moisissure. Une des dalles avait été renversée sur le pavé et une autre était tombée dans le puits. Il y avait un grand trou, dont je ne pouvais voir le fond dans la lumière étouffée par la forêt. Quelque chose scintillait faiblement au fond; mais je ne pouvais être certain de ce que c'était.

J'avais emporté avec moi un rouleau de corde, si tu te souviens. J'attachai une de ses extrémités à une racine principale de l'arbre, laissai tomber l'autre par l'ouverture, et descendit comme un singe. Lorsque j'atteignis le fond, je ne pus d'abord voir que peu de choses dans les ténèbres, excepté le scintillement blanchâtre tout autour de moi, à mes pieds. Quelque chose qui était indiciblement cassant et friable craqua sous moi lorsque je me mis à bouger. Je dirigeai le rayon de ma lampe de poche et vis que l'endroit était considérablement jonché d'os. Des squelettes humains gisaient renversés partout. Ils auraient dû être retirés depuis longtemps... Je tâtonnai parmi les os et la poussière, me sentant fort semblable à une goule, mais je ne pus rien trouver qui eût de la valeur, même pas un bracelet ou une bague sur aucun des squelettes.

Ce ne fut que lorsque je pensai à remonter que je remarquai la véritable horreur. Dans l'un des coins - le coin le plus près de l'ouverture dans le plafond - je regardai et le vit dans les ombres tissées. Il était suspendu à un peu plus de trois mètres au-dessus de ma tête, et je l'avais presque touché, sans m'en rendre compte, lorsque j'avais descendu le long de la corde.

Cela me parut d'abord être une sorte d'ouvrage de treillis. Puis, je vis que le treillis était en partie composé d'os humains - un squelette complet, très grand et robuste, comme celui d'un guerrier. Une pâle chose ratatinée poussait à partir du crâne, comme un ensemble de fantastiques rameaux se terminant en myriades de vrilles longues et filandreuses qui s'étaient répandues vers le haut jusqu'à atteindre le plafond. Ils devaient avoir levé le squelette, ou le corps, avec eux alors qu'ils grimpaient.

J'examinai la chose à l'aide de ma lampe de poche. Cela devait avoir été une plante quelconque et apparemment, cela avait commencé à croître dans le crâne. Certaines des branches avaient émergé de la couronne fendue, d'autres à travers les orbites, la bouche et les narines, pour s'élancer vers le haut. Et les racines de la chose blasphématoire s'étaient faufilées vers le bas, se treillissant sur chaque os. Les orteils et les doigts eux-mêmes étaient encerclés par elles, et celles-ci s'affaissaient en boucles tortillées. Pire encore, celles qui avaient émergé du bout des orteils étaient enracinées dans un second crâne, lequel était suspendu juste en dessous, avec des fragments du système de racines brisé. Il y avait un amas d'os tombés sur le plancher dans le coin.

Cette vision me fit me sentir un peu faible, d'une manière quelconque, et plus qu'un peu écœuré par ce mélange odieux et inexplicable de l'humain et de la plante. Je commençai à grimper sur la corde, dans une hâte fiévreuse de m'extirper, mais la chose me fascinait de son abominable apparence, et je ne pus m'empêcher de m'arrêter pour l'étudier un peu plus lorsque je fus parvenu à la moitié de mon ascension. Je me penchai sur elle trop vite, je crois, et la corde se mit à se balancer, poussant légèrement mon visage contre les branches lépreuses en forme de rameaux situés au-dessus du crâne.

Quelque chose se brisa - peut-être une sorte de cosse sur l'une des branches. Ma tête fut enveloppée d'un nuage de poudre gris perle, très légère, fine et sans odeur. La substance se déposa sur mes cheveux, elle pénétra dans mon nez et dans mes yeux, m'étouffant et m'aveuglant presque. Je la secouai du mieux que le pus. Puis, je me remis à grimper et m'extirpai par l'ouverture... »

Comme si l'effort d'une narration cohérente avait été un poids trop lourd, Falmer plongea dans des marmonnements décousus. La mystérieuse maladie, peu importe ce dont il s'agissait, était retombée sur lui, et ses divagations délirantes étaient entremêlées de gémissements de torture. Mais en certains moments, il retrouvait un éclair de cohérence.

« Ma tête! Ma tête! », marmonna-t-il. « Il doit y avoir quelque chose dans mon cerveau, quelque chose qui grandit et qui s'étend; je te le dis, je peux le sentir. Je ne me suis pas senti bien depuis que j'ai quitté le puits funéraire. Mon esprit a depuis toujours été bizarre. Ce sont les spores de l'ancienne plante démoniaque... Les spores ont pris racine... La chose fend mon crâne, descend dans mon cerveau - une plante qui émerge d'un crâne humain - comme s'il s'agissait d'un pot de fleurs! »

Les effrayantes convulsions reprirent de plus belle, et Falmer se tordit de douleur de façon incontrôlable dans les bras de son compagnon, hurlant d'agonie. Thone, ayant mal au cœur et choqué par ses souffrances, abandonna tout effort pour le maîtriser et prit la seringue hypodermique. Avec beaucoup de difficulté, il entreprit de lui injecter une triple dose, et Falmer, par degrés, devint silencieux et s'immobilisa, les yeux vitreux, respirant difficilement de la poitrine. Pour la première fois, Thone perçut une saillie bizarre de ses yeux, lesquels semblaient tout près de sortir de leurs orbites, rendant impossible la fermeture des paupières et prêtant aux traits tirés une expression d'horreur démente. C'était comme si quelque chose poussait les yeux de Falmer hors de sa tête.

Tremblant d'une faiblesse et d'une terreur soudaines, sentit qu'il était empêtré dans quelque surnaturelle toile de cauchemar. Il ne pouvait pas, il n'osait pas croire l'histoire que Falmer lui avait racontée et ses sous-entendus. Se rassurant en se disant que son compagnon avait tout imaginé, qu'il avait été indisposé durant tout ce temps par l'incubation de quelque fièvre étrange, il se pencha vers lui et remarqua que la bosse en forme de corne sur la tête de Falmer avait à présent percé la peau.

Avec un sentiment d'irréalité, il contempla fixement l'objet que ses doigts indiscrets avaient découvert parmi les cheveux emmêlés. Aucun doute possible, c'était un bourgeon de plante d'une espèce quelconque, avec des feuilles repliées d'un vert pâle et d'un rose sanguin prêts à se déployer. La chose émergeait du dessus de la suture centrale du crâne.

Une nausée envahit Thone, et il se tourna de la tête dodelinante et de son excroissance menaçante, évitant son regard. Sa fièvre revenait, il y eut une débilité consternante dans tous ses membres, et il entendit dans ses oreilles la voix murmurante du délire dans le bourdonnement produit par la quinine. Ses yeux s'embrouillèrent d'une brume mortelle et vaporeuse.

Il lutta pour surmonter sa maladie et son impotence. Il ne devait pas s'y abandonner entièrement; il devait poursuivre avec Falmer et les indiens et rejoindre le plus proche poste de traite, plusieurs jours plus loin sur l'Orinoco, où Falmer pourrait obtenir de l'aide. Comme dû à la pure volonté, ses yeux s'éclaircirent et il éprouva un regain de force. Il regarda autour de lui, cherchant les guides, et vit, avec un commencement de surprise qu'il ne comprenait pas, qu'ils avaient disparu. Scrutant davantage, il remarqua que l'un des bateaux - la pirogue employée par les indiens - avait également disparu. Il était évident que lui et Falmer avaient été abandonnés. Peut-être que les indiens savaient ce qui n'allaient pas chez le malade et en avaient été effrayés. À toute vitesse, ils étaient partis et ils avaient emporté avec eux une bonne part de l'équipement du camp et la plupart des provisions.

Thone se tourna une fois de plus vers le corps étendu de Falmer, surmontant avec difficulté sa répulsion. Avec résolution, il prit son couteau de poche et, se penchant sur le malade, il excisa le bourgeon protubérant, le coupant aussi près du cuir chevelu qu'il pouvait le faire de manière sécuritaire. La chose était bizarrement rigide et caoutchouteuse; elle exsuda un mince fluide sanguin; et il frissonna lorsqu'il vit sa structure interne, remplie de filaments semblables à des nerfs, avec un centre qui suggérait du cartilage.

Il la lança de côté, rapidement, sur le sable de la plage. Puis, levant Falmer dans ses bras, il tituba et chancela vers le bateau restant. Il chuta plus d'une fois et s'étendait, à moitié évanoui, aux côtés du corps inerte. Transportant et tirant alternativement sa charge, il atteignit finalement le bateau. Avec ce qui lui restait de sa force qui le quittait, il réussit à caler Falmer à la poupe contre la pile de matériel.

Sa fièvre croissait régulièrement. Après de nombreux retards, avec des efforts fastidieux et à demi délirants, il quitta la plage, puis la fièvre s'empara totalement de lui et la rame glissa de ses doigts qui plongeaient dans l'oubli...

Il s'éveilla dans l'éclat jaune de l'aube, avec son cerveau et ses sens comparativement clairs. Sa maladie lui avait laissé une grande langueur, mais sa première pensée fut à propos de Falmer. Il se tortilla vers lui, passant presque par-dessus bord dans sa débilité, et s'assit en face de son compagnon.

Falmer était toujours incliné, à moitié assis, à moitié couché, contre la pile de couvertures et d'autres impedimenta. Ses genoux étaient remontés, ses mains les agrippant fermement comme dans une rigidité tétanique. Ses traits étaient devenus aussi âpres et atroces que ceux d'un mort, et son aspect tout entier était celui d'une rigidité mortelle. Ce ne fut pas cela, par contre, qui amena Thone à avoir le souffle coupé d'une horreur incrédule.

Pendant la durée du délire de Thone et son intervalle de sommeil, le bourgeon monstrueux, simplement stimulé, sembla-t-il, par l'acte d'excision, s'était remis à croître avec une rapidité surnaturelle de la tête de Falmer. Un abominable tronc d'un vert pâle s'élevait, épais, et avait commencé à projeter des branches semblables à des rameaux après avoir atteint une taille de quinze ou vingt centimètres.

De façon plus effrayante que cela, si c'était possible, des pousses similaires avaient émergé des yeux; et leurs tiges, grimpant verticalement le long du front, avaient entièrement délogé les globes oculaires. Ils lançaient déjà des branches comme la chose de la couronne. Les rameaux étaient tous dotés d'un bout d'un vermillon pâle. Ils semblaient frémir avec des mouvements répugnants, se balançant de manière rythmique dans l'air tiède et sans vent... De la bouche se projetait une autre tige, se tortillant vers le haut comme une langue longue et blanchâtre. Elle ne s'était pas encore mise à se diviser en branches.

Thone ferma ses yeux pour balayer au loin cette vision choquante. Derrière ses paupières, dans un scintillement jaune de lumière, il voyait toujours les traits cadavériques, les tiges ascendantes qui frémissaient contre l'aube comme des hydres blafardes d'un vert étiolé par une tombe. Elles semblaient se balancer vers lui, grandissant et s'allongeant alors qu'elles remuaient. Il ouvrit de nouveau ses yeux et crut, avec un commencement d'une terreur nouvelle, que les rameaux étaient actuellement plus grands qu'ils ne l'avaient été quelques instants auparavant.

Après cela, il s'assit et les surveilla dans une sorte d'hypnose sinistre. L'illusion de la croissance visible de la plante et de son mouvement de plus en plus libre - si cela était une illusion - augmentait en lui. Falmer, par contre, ne remuait pas, et son visage parcheminé sembla se ratatiner et s'effondrer, comme si les racines de la pousse drainaient son sang, dévoraient sa chair dans leur faim insatiable et morbide.

Thone tourna son regard ailleurs et contempla la plage du fleuve. L'affluent s'était élargi et le courant était devenu plus paresseux. Il tenta de reconnaître leur position, cherchant vainement un point de repère dans les monotones falaises de jungle d'un vert fade qui s'alignaient le long de la berge. Il se sentit désespérément perdu et rejeté. Il semblait dériver sur une marée inconnue de folie et de cauchemar, accompagné par quelque chose de plus effrayant que la corruption elle-même.

Son esprit commença à vagabonder dans une étrange inconséquence , revenant toujours, dans une sorte de cercle fermé, à la chose qui dévorait Falmer. Dans un éclair de curiosité scientifique, il se trouva en train de se demander à quel genre elle appartenait. Elle n'était ni un champignon ni une plante cultivée, ni rien de ce qu'il avait jamais rencontré ou entendu parler lors de ses explorations. Cela devait être parvenu, ainsi que Falmer l'avait suggéré, d'un monde étranger; ce n'était rien que la terre eut pu nourrir de façon convenable.

Il sentit, avec une assurance réconfortante, que Falmer était mort. Qu'au moins, cela était une délivrance. Mais alors qu'il échafaudait sa pensée, il entendit un gémissement lent et guttural et, jetant un coup d'œil à Falmer dans un étonnement horrible, il vit que ses membres et son corps se tortillaient légèrement. Le tortillement s'accrut et prit une régularité rythmique, bien qu'en aucun moment cela ne ressemblât aux convulsions agonisantes et violentes de la journée précédente. C'était manifestement automatique, comme une sorte de galvanisme; et Thone vit que cela était réglé avec les oscillations langoureuses et abominables de la plante. L'effet sur le contemplateur était insidieusement hypnotisant et somnolent; et il se surprit une fois à battre la détestable mesure avec son pied.

Il tenta de se ressaisir, cherchant désespérément quelque chose sur quoi sa santé mentale eut pu s'accrocher. Inéluctablement, sa maladie revint; une fièvre, une nausée et une révulsion pire que l'atrocité de la mort... Mais avant qu'il n'y cède complètement, il extirpa son revolver chargé de son étui et tira à six reprises dans le corps frémissant de Falmer. Il sut qu'il avait toujours fait mouche, mais après la dernière balle, Falmer gémissait toujours et se tortillait à l'unisson avec les oscillations maléfiques de la plante, et Thone, glissant dans le délire, entendait encore le gémissement incessant et automatique.

Il n'y avait pas de temps dans le monde d'irréalité bouillonnante et d'oubli sans fin dans lequel il dériva. Lorsqu'à nouveau il recouvra ses esprits, il ne put savoir si des heures ou des semaines s'étaient écoulées. Mais il sut aussitôt que le bateau ne bougeait plus; et, se levant étourdiment, il vit qu'il avait navigué dans de l'eau et de la boue peu profondes et qu'il faisait face à la plage d'une minuscule île touffue de jungle au milieu du fleuve. L'odeur putride de la vase l'entourait comme une mare stagnante; et il entendit un strident bourdonnement d'insectes.

C'était soit dans l'avant-midi tardif ou dans l'après-midi précoce, car le soleil était très haut dans les cieux immobiles. Des lianes s'abaissaient devant lui des arbres de l'île comme des serpents déroulés, et des orchidées épiphytes, marquées de mouchetures ophidiennes, se penchaient vers lui de manière grotesque à partir des branches qui s'abaissaient. D'immenses papillons aux ailes somptueusement tachetées passaient tout près.

Il s'assit, se sentant vraiment pris de vertige et étourdi, et fit de nouveau face à l'horreur qui l'accompagnait. La chose avait poussé de façon incroyable : les tiges aux trois rameaux qui poussaient au-dessus de la tête de Falmer étaient devenues gigantesques et avaient fait germer des masses de tentacules visqueux qui s'agitaient anxieusement dans l'air, comme à la recherche d'un support - ou d'une nouvelle nourriture. Sur les rameaux les plus élevés une prodigieuse fleur s'était ouverte - une sorte de disque de chair, aussi large que la figure d'un homme et aussi blanche que la lèpre.

Les traits de Falmer s'étaient ratatinés au point que les contours de chaque os étaient visibles comme s'ils s'étaient trouvés sous un papier pressé. Il ressemblait pratiquement à une tête de mort recouverte d'un masque de peau humaine; et sous ses vêtements le corps n'était rien de plus qu'un squelette. Il était plutôt immobile à présent, mis à part le frémissement concerté des branches. La plante atroce l'avait complètement desséché, avait mangé ses organes et sa chair.

Thone voulut se projeter vers l'avant dans une folle impulsion d'en venir aux mains avec la pousse. Mais une étrange paralysie le retenait. La plante était comme un être vivant et intelligent - une chose qui le surveillait, qui le dominait de sa volonté impure mais supérieure. Et la gigantesque fleur, alors qu'il la fixait, prit la mince et surnaturelle ressemblance d'un visage. Elle ressemblait d'une quelconque manière au visage de Falmer, mais les traits étaient tous tordus de travers et se trouvaient mêlés avec ceux de quelque chose entièrement diabolique et inhumain. Thone ne pouvait bouger - il ne pouvait détourner ses yeux de l'anormalité blasphématoire.

Par quelque miracle, sa fièvre l'avait quitté; et elle ne revint pas. À la place vint une éternité de peur et de folie glacées dans laquelle il s'assit, faisant face à la plante hypnotique. Elle le surplombait de la coquille sèche et morte qui avait été Falmer, ses tiges et ses branches gonflées et saturées oscillaient doucement, sa gigantesque fleur le fixant perpétuellement de sa parodie de visage humain. Il crut entendre un son bas et chantant, ineffablement doux, mais il ne put déterminer si cela émanait de la plante ou si cela n'était qu'une simple hallucination de ses sens à bout.

Les heures paresseuses passèrent, et un soleil éreintant jeta ses rayons comme du plomb fondu provenant que quelque titanesque engin de torture. Sa tête tournait en raison de sa faiblesse et de la chaleur fétide, mais il ne pouvait relâcher la rigidité de sa posture. Il n'y avait aucun changement dans la monstruosité ondulante, laquelle semblait avoir atteint sa croissance maximale au-dessus de la tête de sa victime. Mais après un long moment, les yeux de Thone furent attirés par les mains ratatinées de Falmer, qui agrippaient toujours les genoux repliés dans une poigne spasmodique. Au bout des extrémités des doigts, de minuscules racines avaient émergé et remuaient lentement dans l'air, cherchant à tâtons, semblait-il, une nouvelle source de nourriture. Puis, du cou et du menton, d'autres pointes émergèrent, et sur le corps tout entier les vêtements remuèrent d'une curieuse manière, comme sous l'effet de lézards cachés, rampants et se levant.

Au même moment, le chant devint plus fort, plus doux, plus impérieux, et les oscillations de la grande plante assumèrent un tempo séduisant d'une façon indescriptible. C'était comme les charmes de voluptueuses sirènes, la langueur mortelle de cobras dansants. Thone éprouva une irrésistible compulsion; une convocation était posée sur lui, et son corps et son esprit drogués devaient y obéir. Les doigts de Falmer, se tortillant comme des vipères, semblaient lui faire signe. Soudainement, il se retrouva à quatre pattes sur le fond du bateau. Centimètre par centimètre, la terreur et la fascination s'opposant dans son cerveau, il se mit à ramper vers l'avant, se traînant par-dessus le ballot d'orchidées dont il ne tint aucunement compte, centimètre par centimètre, mètre par mètre, jusqu'à ce que sa tête soit contre les mains ratatinées de Falmer, sur lesquelles les racines chercheuses étaient suspendues et flottaient.

Quelque sort cataleptique l'avait rendu sans défense. Il sentit les petites racines alors qu'elles bougeaient comme des doigts fouilleurs parmi ses cheveux et sur son visage et son cou, et commençaient à pénétrer avec de douloureuses pointes effilées comme des aiguilles. Il ne pouvait pas remuer, ni même fermer ses paupières. Dans un regard glacé, il vit l'éclair doré et carmin d'un papillon butinant alors que les racines commençaient à percer ses pupilles.

Les racines avides s'enfoncèrent de plus en plus profondément, tandis que de nouveaux filaments poussaient pour le capturer comme dans un filet de sorcière... Pendant un certain temps, il sembla que le mort et le vivant remuaient ensemble en convulsions communes... Finalement, Thone fut suspendu sur le dos au sein de la toile mortelle qui grandissait toujours; gonflée et colossale, la plante continua à vivre; et sur ses branches les plus élevées, à travers l'après-midi calme et étouffant, une seconde fleur se mit à s'épanouir.

English original: Les semences du sépulcre (The Seed from the Sepulchre)

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