Phénix (Phoenix)

Translation of Clark Ashton Smith by Patrick Rodrigue

Rodis et Hilar avaient grimpé de leurs cavernes natales jusqu'à la plus haute chambre de la haute tour de l'observatoire. Se pressant l'un contre l'autre, autant pour se réchauffer que pour l'amour, ils se tinrent devant une fenêtre à l'est, regardant vers des collines et des vallées faiblement éclairées par l'éternelle lumière des étoiles. Ils étaient venus pour contempler le lever du soleil : ce soleil qu'ils n'avaient jamais vu sauf en tant que globe de noirceur, occultant les étoiles zodiacales dans sa course d'un horizon à l'autre.

Pendant des millénaires, leurs ancêtres l'avaient vu de cette manière. Par quelque phénomène des lois cosmiques, imprévues et inexplicables pour les astronomes et les physiciens, le refroidissement du soleil avait été relativement soudain, et la Terre n'avait pas souffert de la complète dessiccation à long terme de planètes telles que Mercure et Mars. Les rivières, les lacs et les océans s'étaient gelés; et l'air lui-même s'était congelé, tous en termes d'années historiques plutôt que géologiques. Des millions d'habitants de la Terre avaient péri, pris au piège dans la glace et le froid extrême. Les autres, armés de toutes les ressources de la science, avaient trouvé le temps de se retrancher de la nuit cosmique dans un monde de cavernes ramifiées, creusées profondément sous la terre par des excavateurs atomiques.

Là, sous la lumière de globes artificiels et la chaleur extraite des profondeurs toujours en fusion de la Terre, la vie suivait son cours comme elle l'avait fait dans le monde extérieur. Des arbres, des fruits, des herbes, des grains et des légumes étaient cultivés dans du terreau stimulé par des isotopes ou dans des jardins hydroponiques, fournissant de la nourriture et renouvelant une atmosphère respirable. Des animaux domestiques étaient gardés; et des oiseaux volaient; et des insectes rampaient ou voletaient. Les rayons considérés nécessaires à la vie et à la santé étaient fournis par des lampes solaires qui brillaient éternellement dans toutes les cavernes.

Bien peu de la science ancienne avait été perdu; mais, de l'autre côté, il y avait à présent peu de progrès. L'existence était à présent centrée sur la conservation d'un feu menacé par une nuit inexorable. Génération après génération, une mystérieuse stérilité avait réduit les rangs de la race de millions à quelques milliers. Au fil du temps, une stérilité similaire commença à affecter les animaux; et même les plantes ne fleurirent plus avec leur abondance première. Aucun biologiste ne pouvait en déterminer la cause avec certitude.

Peut-être que l'homme, aussi bien que d'autres formes de vie terrestres, avait consommé son crime et avait commencé à suivre collectivement l'inévitable pente de la sénilité qui finissait par affecter tout individu. Ou peut-être, ayant été un habitant de la surface durant la plupart de son évolution, il était incapable de s'adapter à la vie collective et confinée, à la lumière et à l'air des cavernes, et qu'il mourait lentement de la privation de choses qu'il avait presque oubliées.

En effet, le monde qui avait autrefois fleuri sous un soleil vivant n'était à présent rien de plus qu'une légende, une tradition préservée par l'art, la littérature et l'histoire. Ses insouciantes cités babyloniennes, ses collines et ses plaines fécondes, étaient enveloppées d'une couche impénétrable de neige, de glace et d'air solidifié. Aucun homme vivant ne les avait plus contemplées, mis à part par les tour drapées de nuit maintenues en guise d'observatoires.

Néanmoins, toutefois, les rêves des hommes étaient souvent illuminés par des souvenirs primordiaux dans lesquels le soleil brillait sur des eaux écumantes, ainsi que sur des arbres et de l'herbe qui ondulaient. Et leur heures d'éveil étaient parfois touchées par une nostalgie immortelle pour la terre perdue. . . Alarmés par la perspective de l'extinction raciale, les savants les plus brillants et les plus compétents avaient conçu un plan qui semblait aussi désespéré que fantastique. Le plan, s'il était exécuté, pourrait se conclure par un échec ou même par la destruction de la planète. Mais toutes les étapes nécessaires avaient à présent été entreprises pour son lancement.

C'était de ce plan que Rodis et Hilar parlaient, demeurant chacun enlacé dans les bras de l'autre, alors qu'ils attendaient le lever du soleil mort.

« Et tu dois y aller? », dit Rodis, avec des yeux détournés et une voix qui trembla quelque peu.

« Certainement. Il s'agit d'un devoir et d'un honneur. Je suis considéré comme le plus prometteur des plus jeunes atomistes. La disposition et le chronométrage actuels des bombes reposera largement sur moi. »

« Mais - es-tu certain de son succès? Il y a tant de risques, Hilar ». La fille frissonna, étreignant son amant avec une étroitesse convulsive.

« Nous ne sommes sûrs de rien », admit Hilar. « Mais, considérant que nos calculs soient exacts, les multiples charges de matériaux fissibles, incluant plus de la moitié des éléments solaires, pourraient démarrer des réactions en chaîne qui devraient redonner au soleil son incandescence passée. Bien entendu, l'explosion pourrait être trop soudaine et trop violente, incluant les planètes les plus proches dans la formation d'une supernova. Mais nous ne croyons pas que cela se produise - étant donné qu'une explosion d'une telle magnitude devrait requérir la disruption instantanée de tous les éléments du soleil. Une telle disruption ne peut se produire sans un démarreur pour chaque structure atomique séparée. La science n'a jamais été capable de fissionner tous les éléments connus. Si cela avait été le cas, la Terre elle-même aurait sans aucun doute été détruite lors des vieilles guerres atomiques. »

Hilar s'arrêta, et ses yeux se dilatèrent, embrasés d'un feu visionnaire.

« Comme il est glorieux », poursuivit-il, « d'employer pour un objectif de renouveau cosmique les projectiles mortels conçus par nos ancêtres uniquement dans le but de détruire. Rangés dans des cavernes scellées, ils n'ont pas été employés depuis que l'homme a abandonné la surface de la Terre, il y a tant de millénaires déjà. Les vieux vaisseaux spatiaux n'ont pas été utilisés depuis non plus. . . Un véhicule interstellaire ne fut jamais mis au point; et nos voyages se limitèrent toujours aux autres mondes de notre système - aucun desquels était habité ou habitable. Depuis le refroidissement et l'assombrissement du soleil, il n'y a plus eu de raison à visiter chacun d'entre eux. Mais les engins eux aussi furent rangés. Et le plus récent et le plus rapide, propulsés par des aimants anti-gravité, a été apprêté pour notre voyage vers le soleil. »

Rodis écouta en silence, avec un respect mêlé de crainte qui semblait avoir supplanté ses appréhensions, pendant que Hilar continuait à parler du formidable projet que lui, en compagnie de six autres techniciens triés sur le volet, était sur le point d'entreprendre. Pendant ce temps, le soleil noir s'éleva lentement dans les cieux parsemés du froid scintillement ironique d'innombrables étoiles, parmi lesquelles aucune planète ne brillait. Il obscurcit la queue du Scorpion, suspendu en cette heure au-dessus des collines orientales. Il était plus petit mais plus près que le globe igné de l'histoire et de la légende. En son centre, tel un œil cyclopéen, brûlait une tâche solitaire de feu d'un rouge sombre, dont on croyait qu'il indiquait l'éruption de quelque immense volcan au sein de l'incommensurable paysage noirci par la cendre.

Pour quelqu'un qui se serait tenu dans la vallée de glace située en deçà de l'observatoire, il lui aurait semblé que la tour recouverte de fenêtres était un œil jaune qui regardait de la Terre morte en direction de cet œil pourpre du soleil mort.

« Bientôt », dit Hilar, « tu grimperas jusque dans cette pièce - et tu verras un matin que personne n'a vu depuis un siècle de siècles. La glace épaisse fondra des pics et des vallées, dévalant en torrents jusqu'à des lacs et des océans refondus. L'air liquéfié s'élèvera en nuages et en vapeur, touché par la splendeur de toutes les teintes du spectre de la lumière. À nouveau, partout sur Terre, les vents souffleront des quatre coins; et l'herbe et les fleurs pousseront, et les arbres bourgeonneront à partir de minuscules tiges. Et l'homme, l'habitant des cavernes et des abysses closes, reprendra possession de l'héritage qui lui revient.

« Comme cela semble merveilleux », murmura Rodis. « Mais. . . me reviendras-tu? »

« Je te reviendrai. . . dans la lumière du soleil », dit Hilar.

Le vaisseau spatial Phosphore reposait dans une gigantesque caverne située sous la région qui avait autrefois été connue sous le nom de Monts Atlas. Le plafond épais de plus de deux kilomètres avait été partiellement enlevé à l'aide de désintégrateurs atomiques. Une immense cheminée circulaire s'élançait vers la surface, formant une bouche dans le flanc de la montagne à travers lequel les étoiles du Zodiaque étaient visibles. La proue du Phosphore pointait vers les étoiles.

Tout était à présent paré pour son lancement. Une vingtaine de dignitaires et de savants, ressemblant à d'étranges monstres disgracieux dans des costumes et des casques revêtus pour se protéger contre le froid spatial qui avait envahi la caverne, étaient présents pour l'occasion. Hilar et ses six compagnons avaient déjà embarqué à bord du Phosphore et avaient refermé ses sas. Impénétrables et silencieux derrière leurs casques métalloïdes, les spectateurs attendaient. Il n'y eut aucune cérémonie, aucune parole ou mouvement d'adieu; rien pour indiquer que la destinée d'un monde reposait sur la mission du vaisseau.

Comme les gueules de dragons cracheurs de feu, les fusées de propulsion luisirent, et le Phosphore, tel un oiseau sans ailes, s'éleva à travers la grande cheminée et disparut. Hilar, jetant un coup d'œil par un hublot arrière, vit pendant un bref instant la fenêtre illuminée de la tour dans laquelle il s'était si récemment tenu avec Rodis. La fenêtre était une étincelle dorée qui tourbillonna vers le bas dans les abysses de la nuit dévorant - et s'éteignit. Derrière elle, il le savait, sa bien-aimée avait regardé le départ du Phosphore. C'était un symbole, songea-t-il. . . un symbole de vie, de souvenir. . . des soleils eux-mêmes. . . de toutes les choses qui lancent un bref éclat et qui retombent dans l'oubli.

Mais de telles pensées, sentit-il, devaient être écartées. Elles étaient indignes de quelqu'un dont les compagnons avaient été désignés comme un porteur de lumière, un Prométhée qui rallumerait le soleil mort et qui illuminerait à nouveau le monde sombre. Il n'y avait pas de jours, seulement des heures d'éternelle lumière stellaire, pour mesurer le temps qu'ils passeraient dans le vide. Les fusées, utilisées pour la propulsion initiale, ne brûlaient plus à l'arrière, et le vaisseau volait dans les ténèbres, mis à part les brillants yeux d'Argus de ses hublots, attiré à présent par l'attraction gravitationnelle du soleil aveugle. Les vols d'essai avaient été considérés inutiles pour le Phosphore. Toute sa machinerie était en parfaite condition, et les équipements impliqués étaient simples et facilement contrôlables. Aucun des membres de son équipage n'avait jamais été dans l'espace extraterrestre auparavant; mais tous étaient bien formés en astronomie, en mathématiques et dans les différentes techniques essentielles à un voyage entre les mondes. Il y avait deux navigateurs, un ingénieur aux fusées et deux ingénieurs qui opéreraient les puissants générateurs chargés d'un magnétisme négatif inverse à celui de la gravité, avec lequel ils espéraient approcher, faire le tour et éventuellement repartir en toute sécurité d'un globe incroyablement plus massif que les neuf planètes du système fondue en une seule. Hilar et son assistant, Han Joas, complétaient le personnel. Leur unique tâche était le chronométrage, la pose et la répartition des bombes.

Tous étaient les descendants d'une race mixte avec des ascendants latins, sémitiques, caucasiens et négroïdes : une race qui avait peuplée, avant le refroidissement du soleil, les pays au sud de la Méditerranée, où les anciens déserts avaient été rendus fertiles par un vaste système d'irrigation de lacs et de canaux.

Ce mélange, après tant de siècles de vie en caverne, avait produit un type aux caractéristiques sveltes et bien faites, de taille petite ou moyenne, et d'une teinte olivâtre. Les traits étaient souvent d'une douceur négroïde; le physique général était marqué par une délicatesse qui frôlait la décadence.

Dans une mesure surprenante, en regard des vastes ères intermédiaires de changements historiques et géographiques, ce peuple avait conservé plusieurs traditions pré-atomiques et même quelque chose des vieilles cultures méditerranéennes classiques. Leur langue portait des traces distinctes de latin, de grec, d'espagnol et d'arabe.

Des vestiges des autres peuples, ceux de l'Asie subéquatoriale et de l'Amérique, avaient survécu à la glaciation universelle en s'enfouissant sous terre. La communication radio avait été maintenue avec ces peuples jusqu'à des temps relativement récents, puis avaient par la suite cessé. On croyait qu'ils étaient tous morts ou qu'ils avaient rétrogradé jusqu'à la sauvagerie, perdant la civilisation qu'ils avaient autrefois atteint.

Heure après heure, interrompu seulement par le sommeil et les repas, le Phosphore fila à travers le vide noir invariable. Pour Hilar, il sembla quelques fois qu'ils volaient simplement à travers une caverne plus sombre et plus vaste dont les murs éloignés étaient semés d'étoiles comme s'il avait s'agit de globes rayonnants. Il crut ressentir le vertige écrasant de l'espace sans fond et sans directions. Au lieu, il avait un sens bizarre de circonscription par la nuit et le vide ambiants, mis ensemble avec un sens de répétition cyclique, comme si tout ce qui se passait s'était déjà produit plusieurs fois auparavant et devrait se reproduire souvent à travers des cycles futurs sans fin.

Lui et ses compagnons étaient-ils partis dans des cycles anciens pour rallumer d'anciens soleils qui avaient péri? Retourneraient-ils encore pour embraser de nouveau des soleils qui flamberaient et mourraient dans quelque univers postérieur? Y avait-il toujours eu, y aurait-il toujours, une Rodis qui attendrait son retour? De ces pensées il ne parla qu'à Han Joas, qui partageait un peu de son mysticisme inné et de sa tendance vers la spéculation cosmique. Mais pour la plupart du temps, les deux parlèrent des mystères de l'atome et de ses pouvoirs de typhon, et discutèrent des problèmes auxquels ils seraient bientôt confrontés.

L'engin transportait plusieurs centaines de bombes à fragmentation, plusieurs desquelles étaient dotées d'un potentiel jamais testé auparavant : l'héritage non utilisé des guerres anciennes avait laissé des cicatrices gigantesques et des aires radioactives mortelles, certaines grandes de deux mille kilomètres ou davantage, à être recouvertes par les glaciers. Il y avait des bombes au fer, au calcium, au sodium, à l'hélium, à l'hydrogène, au soufre, au potassium, au magnésium, au cuivre, au chrome, au strontium, au baryum, au zinc : des éléments qui avaient anciennement été révélés dans le spectre solaire. Même à l'apogée de leur folie, les nations en guerre avaient eu la sagesse de ne pas employer plus de quelques-unes de ces bombes à la fois. Des réactions en chaîne avaient quelquefois été lancées, mais, heureusement, avaient cessé. Hilar et Han Joas espéraient répartir les bombes à intervalles autour de toute la circonférence du soleil; préférablement sur des larges dépôts des mêmes éléments que ceux dont elles étaient conçues. Le vaisseau était équipé avec un appareil radar à l'aide duquel les différents éléments pouvaient être détectés et localisés. Les bombes seraient chronométrées pour exploser avec autant de simultanéité que possible. Si tout se passait bien, le Phosphore aurait accompli sa mission et aurait couvert la plupart de la distance du retour vers la Terre avant que ne se produisent les explosions.

On avait émis l'hypothèse que l'intérieur du soleil était composé de magma encore en fusion, recouvert d'une croûte relativement mince : un flux bouillonnant de matière qui se manifestait par des activités volcaniques. Seul l'un des volcans était visible à l'œil nu de la Terre, mais d'innombrables autres avaient été révélés par l'étude au télescope. À présent, alors que le Phosphore s'approchait de sa destination, les autres crachaient leur feu sur le gigantesque globe à la lente rotation qui avait assombri le quart de l'écliptique et qui masquait complètement la Lyre, le Scorpion et le Sagittaire.

Pendant un long moment, il sembla être suspendu au-dessus des voyageurs. À présent, soudainement, comme par quelque prodigieux tour de prestidigitation, il reposait sous eux : un disque d'ébène monstrueux, allant toujours en s'agrandissant, aux cratères flambants en guise d'yeux, veiné et moucheté et taché de pâles radioactivités inconnues. Cela ressemblait à l'écu de quelque géant macrocosmique de la nuit, qui s'était retranché dans l'abysse gisant entre les mondes.

Le Phosphore plongea vers lui comme une écharde d'acier attirée par quelque énorme magnétite. Chaque membre de l'équipage avait été formé à l'avance pour le rôle qu'il avait à jouer; et tout avait été chronométré avec une remarquable précision. Sybal et Samac, les ingénieurs des aimants anti-gravité, commencèrent à manipuler les commutateurs qui dresseraient une résistance à l'attraction solaire. Les générateurs, gros comme trois hommes, dotés de bobines d'induction qui suggéraient quelque colossal Laocoon, pouvaient drainer de l'espace cosmique une force négative capable de contrer plusieurs fois la gravité terrestre. En des temps passés, ils avaient contré efficacement l'attraction de Jupiter; et l'engin s'était même approché du soleil éclatant aussi près que ses systèmes d'isolation et de refroidissement le lui avaient permis. Il semblait ainsi raisonnable de s'attendre à ce que les voyageurs puissent accomplir leur objectif de s'approcher très près du globe assombri, d'en faire le tour et de le quitter lorsque toutes les charges disruptives allaient être déposées.

Une vibration monotone, ressentie plutôt qu'entendue, commença à être émise des aimants. Cela remua le vaisseau et causa une douleur dans les tissus des voyageurs. Attentivement, avec une anxiété qui ne transparaissait pas dans leurs traits impassibles, ils regardèrent la lente accumulation de puissance montrée par des cadrans et des jauges sur lesquels des aiguilles géantes rampaient comme des mains d'horloger, enregistrant une par une les gravités inversées, jusqu'à ce qu'une charge équivalente à celle de quinze Terres eut été neutralisée. La poigne de la gravitation solaire, qui les attirait avec la vélocité d'un projectile, les écrasant sur leurs sièges avec un incessant accroissement de masse, se relâcha. Les aiguilles continuaient à ramper. . . plus lentement maintenant. . . à 16. . . à 17. . . et s'arrêtèrent. La chute du Phosphore avait été retardée mais non stoppée. Et les commutateurs se maintinrent à leur dernier cran.

Sybal parla, en réponse aux question non formulées de ses compagnons. « Quelque chose ne va pas. Peut-être y a-t-il eu quelque détérioration imprévue dans les bobines, dans la composition desquelles d'étranges et complexes alliages ont été utilisés. Certains des éléments peuvent avoir été instables - ou ont développé une instabilité avec l'âge. Ou peut-être y a-t-il une force qui fait interférence, née de la décomposition du soleil. De toute manière, il est impossible d'accumuler plus de puissance vers les 26 gravités dont nous avons besoin pour nous approcher plus près de la surface solaire. »

Samac ajouta : « Les rétrofusées accroîtront notre résistance jusqu'à 19 anti-gravités. Cela sera encore bien insuffisant, même à notre distance actuelle. »

« Combien de temps avons-nous? », demanda Hilar, se tournant vers les navigateurs, Calaf et Caramod.

Les deux discutèrent et calculèrent.

« En utilisant les rétrofusées, nous aurons deux heures avant d'atteindre le soleil », annonça finalement Calaf.

Comme si cette annonce avait été un ordre, Eibano, l'ingénieur aux fusées, tira d'un coup sec sur les leviers qui dotaient les rétrofusées de toute leur puissance. Il y eut une légère décélération supplémentaire de leur descente, un léger allégement de la masse atroce qui les oppressait. Mais le Phosphore plongeait toujours irréversiblement vers le soleil.

Hilar et Han Joas s'échangèrent un regard de compréhension et d'accord. Ils se levèrent avec raideur de leurs sièges et se dirigèrent lourdement vers le magasin, occupant pleinement la moitié de l'intérieur du navire, dans lequel les centaines de bombes à disruption étaient entreposées. Il était inutile d'annoncer leur objet; et personne ne donna son approbation ou son objection.

Hilar ouvrit la porte du magasin, et lui et Han Joas s'arrêtèrent sur son seuil, regardant derrière eux. Ils virent pour la dernière fois le visage de leurs compagnons, n'exprimant aucune autre émotion que de la résignation, reposant, comme c'était le cas, sur le bord de la destruction. Puis, ils entrèrent dans le magasin, refermant sa porte derrière eux.

Ils se mirent à travailler méthodiquement, bougeant dos à dos le long d'une allée étroite entre les supports sur lesquels les immenses bombes ovoïdes étaient empilées en un ordre strict en fonction de leurs éléments respectifs. En raison de plusieurs cadrans et commutateurs impliqués en coordination, cela prenait plusieurs minutes pour préparer une seule bombe pour la détonation. Ainsi, Hilar et Han Joas, dans le temps dont ils disposaient, ne purent programmer le chronométrage et la détonation que d'une seule bombe de chaque élément. Un grand chronomètre, cliquetant à l'une des extrémités du magasin, leur permit d'accomplir leur tâche avec une précision. Les bombes furent ainsi programmées pour exploser simultanément, faisant exploser les autres par l'entremise d'une réaction en chaîne, au moment où le Phosphore atteindrait la surface du soleil.

L'attraction solaire, devenant plus forte alors que le Phosphore tombait vers son destin, rendait à présent leurs mouvements lents et difficiles. Cela, craignirent-ils, les immobiliseraient avant qu'ils puissent préparer une seconde série de bombes pour la détonation. Laborieusement, sous le fardeau d'une masse déjà triplée, ils se rendirent à des sièges qui faisaient face à un réflecteur dans lequel on voyait une image du cosmos extérieur.

Ils contemplèrent une scène impressionnante et extraordinaire. Le globe du soleil s'était grandement agrandi, remplissant les cieux du dessous. Vu à moitié, un mince paysage qui s'étendait sans limites, éclairé irrégulièrement par l'éclat lointain pourpre de volcans et par des zones et des parcelles bleuâtres d'étranges minéraux radioactifs, découvrait sous eux des montagnes abyssales qui faisaient paraître les Himalaya pour des collines, révélait des crevasses qui auraient pu engloutir des astéroïdes et des planètes.

Au centre de ce paysage cyclopéen brûlait le grand volcan qui avait été nommé Héphaïstos par les astronomes. Il s'agissait du même volcan que Hilar et Rodis avaient observé par la fenêtre de l'observatoire. Des langues de flammes de deux cents kilomètres de long se projetaient vers le ciel à partir d'un cratère qui semblait être la bouche de quelque enfer des plus ordinaires.

Hilar et Han Joas n'entendirent plus davantage le cliquetis de mauvais augure du chronomètre et n'eurent plus d'yeux pour voir ses mains menaçantes. Une telle contemplation était désormais inutile : il n'y avait rien de plus à faire et rien d'autre que l'éternité devant eux. Ils mesurèrent leur descente par l'élargissement de la mince plaine solaire, le saut dans l'existence de nouvelles montagnes, l'approfondissement de nouvelles crevasses et de nouveaux gouffres dans le globe qui avait à présent perdu toute ressemblance avec une sphère.

Il était à présent évident que le Phosphore tomberait directement dans le cratère flambant et béant d'Héphaïstos. De plus en plus vite, il plongea, de plus en plus lourdes devinrent les chaînes de la gravité au point que nul géant n'aurait pu les lever. . . Finalement, le réflecteur par lequel Hilar et Han Joas regardaient fut entièrement rempli par les langues de feu volcanique qui enveloppaient le Phosphore.

Puis, sans yeux pour voir ou oreilles pour comprendre, il firent partie du bûcher funéraire duquel le soleil, tel un phénix, venait de renaître.

Rodis, grimpant à la tour après une période de sommeil agité et de rêves troublés, vit par sa fenêtre le lever du globe rallumé.

Celui-ci l'éblouit, bien que sa gloire fut à moitié occultée par des brumes des couleurs de l'arc-en-ciel qui s'élevaient des sommets des montagnes glacées. C'était une vision remplie d'émerveillement et de présages. De minces ruisselets d'eau qui dévalait avaient déjà commencé à ronger l'armure glaciale sur les pentes et les escarpements; et plus tard, ils se gonfleraient en cataractes, mettant à nu le terreau et la pierre ensevelis. Des vapeurs, qui semblaient remuer et fluctuer sur des vents qui renaissaient, nagèrent vers le soleil à partir de lacs d'air congelé au fond de la vallée. Il s'agissait d'une reprise de la vie et de l'activité élémentaires depuis si longtemps suspendues dans la nuit hibernale. Même à travers les murs isolés de la tour, Rodis sentit la chaleur solaire qui réveillerait plus tard les graines et les spores de plantes qui étaient demeurés dormants depuis des cycles.

Son cœur fut remué jusqu'à l'émerveillement par le spectacle. Mais au-delà de l'émerveillement, il y avait une grande torpeur et une tristesse semblable à une glace qui refuse de fondre. Hilar, elle le savait, ne lui reviendrait jamais - excepté en tant que rayon de lumière, qu'étincelle de la chaleur vitale qu'il avait aidé à rallumer. Pour l'instant, il y avait davantage d'ironie que de réconfort dans le souvenir de sa promesse : « Je te reviendrai - dans la lumière du soleil. »

English original: Phénix (Phoenix)

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